Wallonie - Craie > Recours 935
Commission de recours pour le droit d’accès à l’information en matière d’environnement Séance du 13 novembre 2018 RECOURS N° 935 En cause de : Monsieur Requérant, Contre : le Service public de Wallonie Direction générale opérationnelle des routes et bâtiments Direction des routes de Namur Avenue Gouverneur Bovesse, 37 5100 JAMBES Partie adverse. Vu la requête du 10 septembre 2018, par laquelle le requérant a introduit le recours prévu à l’article D.20.6 du livre Ier du code de l’environnement, contre le refus de transmission d’une copie d’un rapport de la Commission wallonne d’étude et de protection des sites souterrains concernant un projet de nouvelle voirie reliant l’hôpital de Mont-Godinne à l’E411 et à la N4, et plus précisément son impact sur le milieu souterrain, tant du point de vue de la conservation et de la protection de celui-ci, que de l’incidence potentielle des sites karstiques sur la stabilité de cette voirie ; Vu l’accusé de réception de la requête du 13 septembre 2018 ; Vu la notification de la requête à la partie adverse, en date du 13 septembre 2018 ; Vu la décision de la Commission du 11 octobre 2018 prolongeant le délai pour statuer ; Considérant que la partie adverse a transmis à la Commission le document réclamé par le requérant ; que, dans ce document, intitulé « Assesse - Profondeville - Yvoir. Réflexions à propos de la construction d’une route au Fond d’Hestroy (CHU de Mont-Godinne) » et daté du 29 mai 2018, la Commission wallonne d’étude et de protection des sites souterrains (ci- après : « la CWEPSS »), association sans but lucratif pour la sauvegarde des sites karstiques et des eaux souterraines, analyse l’impact sur le milieu souterrain de six itinéraires envisagés pour le projet de construction d’une route destinée à relier l’hôpital de Mont-Godinne et la Nationale 4, à proximité d’une grotte, dénommée « Trou d’Haquin », qui a été classée comme site en raison de sa valeur esthétique et scientifique en application de la législation relative à la protection du patrimoine immobilier ; qu’au terme de son analyse, la CWEPSS considère que les six tracés proposés « posent problème du point de vue du sous-sol » et fait une proposition de tracé alternatif destinée à « [tenir] compte dès le départ de la nature très particulière du sous-sol et de son degré de karstification » et à préserver, plus spécialement, la zone du Trou d’Haquin ; que les informations contenues dans le document établi par la CWEPSS constituent incontestablement des informations environnementales soumises au droit d’accès à l’information que consacre et organise le livre Ier du code de l’environnement ; Considérant que la partie adverse a répondu comme suit à la demande du requérant d’obtenir communication du rapport de la CWEPSS : « Une étude est en cours afin de définir un ou des tracés potentiels de liaisons entre Courrière et Mont-Godinne. Je parle bien de projets qui ne sont pas aboutis à ce jour et sur lesquels aucun document ne sera transmis avant finalisation et accord des différentes parties. Je peux vous assurer que la CWEPSS a bien fait son travail en défendant les intérêts de son fonds de commerce ainsi qu’en proposant des alternatives. Nous étudions ça avec le plus grand intérêt » ; Considérant que la partie adverse a également indiqué au requérant ne pas voir « d’intérêt à fournir ce genre d’étude si nous ne passons même pas près du trou d’Acquin » ; Considérant que, dans un courriel du 19 septembre 2018, la partie adverse a fait valoir ce qui suit auprès de la Commission : « Ce rapport a été transmis d’initiative par la CWEPSS suite aux fuites survenues dans le dossier de l’accès rapide à l’hôpital CHU Mont Godinne. Cet organisme nous a demandé l’autorisation de venir défendre les intérêts du sous-sol aux alentours du Trou d’Acquin. S’agissant d’un organisme officiel et reconnu, nous avons accepté leur initiative et avons pris connaissance de leurs recommandations. De plus, nous ne sommes pas propriétaire des droits sur ce rapport. M. Goethals cherche simplement des informations complémentaires sur un nième tracé repris dans ce rapport, ce tracé n’a pas été dévoilé à ce jour et au vu de l’engouement très fort dans ce dossier, nous ne tenons pas qu’il le soit. Divulgué, ce rapport mettrait de nouveaux bâtons dans les roues de l’avant-projet sans avoir de certitude qu’il soit viable. Nous ne savons pas encore par où passera le futur tracé retenu car l’avant- projet n’est même pas encore bouclé. Il me semble dès lors inutile d’attiser les tensions. Dans ces conditions et au vu des considérations reprises ci-avant, je vous demande de ne pas transmettre ce rapport à ce stade de l’étude !!! » ; Considérant que, dans un courriel du 15 octobre 2018, la partie adverse a précisé à la Commission qu’« [e]n l’absence des 6 trajets et surtout de l’alternative », elle ne voit « aucun souci à transmettre ce rapport » ; qu’il en résulte que la partie adverse s’oppose uniquement à la divulgation des extraits du rapport de la CWEPSS qui contiennent des indications sur les six tracés potentiels envisagés à proximité du Trou d’Haquin, ainsi que - et surtout - des passages du rapport dans lesquels la CWEPSS fait une proposition de tracé alternatif ; Considérant qu’en ce qui concerne les six tracés potentiels envisagés à proximité du Trou d’Haquin, il ressort du dossier que, selon l’expression utilisée par la CWEPSS dans un courriel adressé au requérant le 4 juillet 2018, ils ont « fuité » il y a quelques mois ; que, compte tenu de cet élément, la Commission a invité le requérant à préciser s’il avait connaissance des six tracés en question et, dans l’affirmative, à produire toutes pièces utiles ; que le requérant a, en annexe à un courriel du 16 octobre 2018, produit un document permettant d’identifier ces tracés d’une manière au moins aussi précise que les indications qu’en donne le rapport de la CWEPSS ; que la Commission n’a pas à porter d’appréciation sur les circonstances qui ont permis au requérant d’obtenir communication de ce document ; qu’elle ne peut que constater que le requérant a une connaissance précise desdits tracés ; qu’en conséquence, outre le fait qu’il paraît difficile de comprendre le rapport de la CWEPSS sans avoir connaissance des six tracés potentiels dont ce rapport examine l’impact sur le sous- sol, il n’y a aucune raison d’omettre de la communication du rapport de la CWEPSS au requérant les passages contenant des indications sur ces tracés ; Considérant dès lors qu’en définitive, la seule question qui se pose est de savoir s’il est justifié, au regard des dispositions régissant l’accès aux informations environnementales, de ne pas communiquer au requérant les passages du rapport de la CWEPSS dans lesquels celle- ci fait une proposition de tracé alternatif ; Considérant à cet égard qu’à elle seule, la circonstance que, du point de vue de la partie adverse, il n’y a pas encore d’avant-projet ou de projet abouti ou bouclé pour la route envisagée et que, pour l’heure, la partie adverse ne sait pas encore quel sera le tracé retenu, n’est pas de nature à justifier, au regard des motifs pour lesquels les dispositions régissant l’accès aux informations environnementales permettent de restreindre cet accès, que les passages du rapport de la CWEPSS dans lesquels celle-ci fait une proposition de tracé alternatif ne soient pas communiqués au requérant ; qu’en effet, la demande d’information introduite par le requérant vise, non pas à connaître le tracé que la partie adverse envisage de retenir, mais uniquement à obtenir communication du rapport de la CWEPPS, lequel inclut une proposition de tracé alternatif qui exprime uniquement le point de vue de la CWEPSS ; que ce rapport ne se présente nullement comme un document en cours d’élaboration ou que son auteur n’aurait pas encore finalisé, de sorte que l’on ne peut soutenir que la demande d’information en cause porterait sur un document en cours d’élaboration ou sur un document ou des données inachevés, pour lesquels l’article D.18, § 1er, d), du livre Ier du code de l’environnement permet qu’une demande d’information environnementale soit rejetée ; Considérant qu’à elle seule, la volonté de la partie adverse d’éviter de « mettr[e] de nouveaux bâtons dans les roues de l’avant-projet sans avoir de certitude qu’il soit viable » ou d’« attiser les tensions » à propos d’un dossier dans lequel il y a « un engouement très fort » - pour reprendre des expressions utilisées par la partie adverse dans le courriel qu’elle a adressé à la Commission le 19 septembre 2018 - n’entre pas davantage dans les prévisions des dispositions qui permettent de restreindre l’accès aux informations environnementales ; Considérant, quant à l’argument par lequel la partie adverse déclare ne pas être « propriétaire des droits » sur le rapport de la CWEPSS, que la Commission ne dispose pas de suffisamment d’éléments concrets pour s’assurer en parfaite connaissance de cause de l’exactitude de cette affirmation ; que, partant, elle ne peut déterminer avec certitude s’il y a matière, en l’espèce, à appliquer les dispositions - en particulier l’article D.19, § 1er, alinéa 1er, e), du livre Ier du code de l’environnement et l’article 30 de la loi du 5 août 2006 relative à l’accès du public à l’information en matière d’environnement - qui permettent de limiter le droit d’accès aux informations environnementales quand l’exercice de ce droit est susceptible de porter atteinte à des droits de propriété intellectuelle ; Considérant que la Commission estime toutefois ne pas être tenue de trancher le point de savoir si les dispositions du livre Ier du code de l’environnement et de la loi du 5 août 2006 citées dans le considérant précédent sont applicables en l’espèce ; Considérant, en effet, qu’est de toute façon a priori applicable dans la présente affaire une autre disposition permettant de restreindre l’accès aux informations environnementales, en l’occurrence l’article D.19, § 1er, alinéa 1er, g) du livre Ier du code de l’environnement ; que cette disposition prévoit la possibilité de limiter l’accès à l’information en vue d’éviter qu’il ne soit porté atteinte « aux intérêts ou à la protection de toute personne qui a fourni les informations demandées sur base volontaire sans y être contrainte par le décret ou sans que le décret puisse l’y contraindre, à moins que cette personne n’ait consenti à la divulgation de ces données » ; que ce motif peut être invoqué en l’espèce, dès lors qu’aucun texte n’imposait à la CWEPSS l’obligation de communiquer son rapport à la partie adverse, et qu’il ressort du dossier (en particulier d’un courriel adressé par la CWEPSS au requérant le 4 juillet 2018) que la CWEPSS, se référant au souhait de la partie adverse sur ce point, a expressément indiqué ne pas consentir à la divulgation de son rapport ; Considérant, en tout état de cause, qu’il résulte des dispositions régissant le droit d’accès aux informations environnementales que, lorsqu’une autorité envisage, pour un motif ou pour un autre prévu par ces dispositions, de restreindre le droit d’accès à l’information, elle doit mettre en balance, dans le cas particulier dont elle est saisie, l’intérêt public servi par la divulgation d’un document avec l’intérêt servi par le refus de le divulguer (voir en ce sens l’article D.19, § 2, du livre Ier du code de l’environnement et, pour autant que cette disposition soit applicable, l’article 30, alinéa 2, de la loi du 5 août 2006) ; Considérant, en l’espèce, que, pour reprendre une expression utilisée par la partie adverse, la CWEPSS est « un organisme reconnu » dans un domaine - la sauvegarde des sites karstiques et des eaux souterraines - qui relève de la protection de l’environnement ; que, dès lors qu’au terme de son analyse de l’impact sur le milieu souterrain des itinéraires routiers envisagés à proximité de la grotte, classée comme site, dénommée « Trou d’Haquin », la CWEPSS a considéré, dans le document dont le requérant demande communication, que les tracés proposés « posent problème du point de vue du sous-sol », il se comprend fort bien qu’elle conclue ce document par une proposition de tracé alternatif qui « tienne compte dès le départ de la nature très particulière du sous-sol et de son degré de karstification » et soit de nature à préserver, plus spécialement, la zone du Trou d’Haquin ; que, dans ce contexte, la divulgation de la proposition de tracé alternatif recommandée par la CWEPSS est d’un intérêt certain du point de vue de la protection de l’environnement ; que l’on ne peut retenir la thèse de la partie adverse suivant laquelle la divulgation de cette proposition de tracé alternatif ne présente pas d’intérêt « si nous ne passons même pas près du trou d’Acquin », dès lors que la partie adverse déclare par ailleurs que le futur tracé de la route envisagée n’a pas encore été déterminé ; Considérant que le rapport de la CWEPSS précise expressément que l’avis qu’il contient « ne porte QUE sur l’aspect sous-sol et karst », la CWEPSS n’étant « ni habilitée, ni compétente, pour juger des autres impacts et contraintes techniques, paysagères ou légales » ; que, dans le même sens, il précise que la faisabilité du tracé alternatif proposé « doit bien évidemment être confrontée à toutes les autres contraintes techniques, juridiques et de statuts » ; que, dans un courriel adressé au requérant le 6 mars 2018, la CWEPSS avait déjà signalé au requérant que son avis se limiterait aux seuls aspects karstiques et que cet avis « restera[it] évidemment consultatif » ; que, dans un autre courriel adressé au requérant le 4 juillet 2018, elle a, toujours dans le même sens, souligné que sa proposition de tracé alternatif est « une simple ébauche qui ne tient compte QUE des seuls aspects karstiques » et qu’« [i]l y a bien d’autres aspects, humains, techniques, économiques, paysagers, légaux et d’aménagement du territoire qui doivent être analysés (par les spécialistes dans ces domaines) » ; qu’ainsi, l’objet et la portée de la proposition de tracé alternatif faite par la CWEPSS sont clairement limités ; que, sans équivoque possible, cette proposition n’engage en rien la partie adverse, ni ne préjuge de la moindre décision relative au principe ou au tracé de la route envisagée ; que le requérant en est, du reste, bien conscient, comme en témoigne le passage de son courriel à la partie adverse daté du 30 août 2018, dans lequel il précise que sa demande « ne concerne pas le projet d’un quelconque tracé d’un projet de route », puisque celui-ci « n’est pas encore finalisé vu que (…) les différentes parties ne l’ont pas encore validé » ; que ces précisions sont de nature à éviter tout malentendu quant à l’objet et à la portée de la proposition de tracé alternatif contenue dans le rapport de la CWEPSS et, partant, en cas de divulgation du rapport, de nature à limiter très fortement le risque d’éventuels abus dans l’usage qui pourrait être fait de celui-ci ou le risque d’éventuels inconvénients pour la CWEPSS ; Considérant dès lors que, tout bien pesé, la balance des intérêts en présence penche en l’espèce du côté de la communication au requérant de la totalité du rapport de la CWEPSS, sans en exclure les passages dans lesquels celle-ci fait une proposition de tracé alternatif ; Considérant encore, pour autant que de besoin, que la Commission, dont la compétence est limitée à l’application des dispositions du livre Ier du code de l’environnement relatives à l’accès à l’information, croit utile de préciser que la présente décision ne peut en aucune manière être interprétée comme étant une prise de position sur la pertinence de la proposition de tracé alternatif faite par la CWEPSS ; PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DECIDE : Article 1er : Le recours est recevable et fondé. Article 2 : La partie adverse communiquera au requérant, dans les huit jours de la notification de la présente décision, une copie de la totalité du document établi par la Commission wallonne d’étude et de protection des sites souterrains, daté du 29 mai 2018, et intitulé « Assesse - Profondeville - Yvoir. Réflexions à propos de la construction d’une route au Fond d’Hestroy (CHU de Mont-Godinne) ». Ainsi délibéré et prononcé à Namur le 13 novembre 2018 par la Commission composée de Monsieur Benoît JADOT, président, Messieurs André LEBRUN et Frédéric MATERNE, membres effectifs, et Monsieur Luc L’HOIR, membre suppléant. Le Président, Le Secrétaire, B. JADOT S. PORTETELLE