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Date: 1/04/2019
Commission d’accès aux et de réutilisation des documents administratifs Section publicité de l’administration 1er avril 2019 AVIS n° 2019-33 CONCERNANT L’EXCEPTION DE MANIFESTEMENT ABUSIVE (Avis de propre initiative 2019-1) 2 1. Un aperçu Par le passé, le motif d'exception "abus manifeste" prévu à l'article 6, §3, 3° de la loi du 11 avril 1994 'relative à la publicité de l'administration' (ci- après loi du 11 avril 1994) et à l'article 7, 3° de la loi du 12 novembre 1997 'relative à la publicité de l'administration dans les provinces et les communes' (ci-après loi du 12 novembre 1997) pouvait être relativement aisément motivé, notamment, en soulignant la grande quantité de documents concernés par la demande. À la lumière de la jurisprudence du Conseil d'État relative au motif d'exception similaire figurant dans le décret du 26 mars 2004 'relatif à la publicité de l'administration', à présent repris d'une part dans un article du décret flamand de gouvernance du 7 décembre 2018 et d'autre part à l'article 32, §2, 1° de la loi du 5 août 2006 'relative à l'accès du public à l'information en matière d'environnement', il s'avère que ce motif ne peut être invoqué que dans la mesure où un certain nombre de critères sont remplis. En vertu de l'article 8, §4 de la loi du 11 avril 1994 'relative à la publicité de l’administration' (ci-après loi du 11 avril 1994) et de l'article 9, §3 de la loi du 12 novembre 1997 'relative à la publicité de l'administration dans les provinces et les communes' (ci-après loi du 12 novembre 1997), la Commission est habilitée à rendre un avis d'initiative en lien avec l'application générale de la législation sur la publicité de l'administration. Dans le cas de la loi du 12 novembre 1997, la Commission ne peut se prononcer que sur des demandes émanant d'administrations locales pour autant que la compétence organique sur ces dernières soit confiée au législateur fédéral. La Commission peut également soumettre au pouvoir législatif des propositions relatives à l'application et à la révision éventuelle des deux lois relatives à la publicité. 2. L'avis L'avis est composé de six éléments. Après la définition du motif d'exception, nous aborderons son interprétation pouvant être déduite des travaux parlementaires pour ensuite examiner le caractère restrictif, facultatif et relatif dudit motif d'exception. Enfin, nous donnerons un aperçu des critères qui peuvent être utilisés pour invoquer l'abus manifeste. À cet effet, nous avons fait appel à la jurisprudence du Conseil d'État, bien que les arrêtés cités ne concernent ni la loi du 11 avril 1994, ni la loi du 12 novembre 1997, mais des motifs d'exception similaires dans 3 d'autres réglementations de publicité qui ont puisé leur inspiration dans la loi du 11 avril 1994. 2.1. Une constatation L'article 6, §3, 1° de la loi du 11 avril 1994 s'énonce comme suit: “L'autorité administrative fédérale peut rejeter une demande de consultation, d'explication ou de communication sous forme de copie d'un document administratif dans la mesure où la demande : (...) 3° est manifestement abusive ;" Article 7 de la loi du 12 novembre 1997 s'énonce comme suit : “Sans préjudice des autres exceptions établies par la loi, le décret ou l'ordonnance pour des motifs relevant de l'exercice des compétences de l'autorité fédérale, de la Communauté ou de la Région, l'autorité administrative provinciale ou communale peut rejeter une demande de consultation, d'explication ou de communication sous forme de copie d'un document administratif dans la mesure où la demande: (...) 3° est manifestement abusive ;" Ces deux motifs d'exception sont identiques, mais leur champ d'application diffère : le premier vaut pour l'autorité administrative fédérale, le second pour les administrations provinciales et communales. La Commission constate une différence entre la version française et néerlandaise du motif d'exception en question. Alors qu'en néerlandais, il est question “kennelijke onredelijkheid”, en français les termes "manifestement abusive" sont utilisés. Étant donné que les deux textes sont équivalents, il convient cependant de les interpréter de la même manière. Par le passé, cette différence de formulation entre le texte néerlandais et le texte français a mené à deux interprétations de ce motif d'exception. 4 2.2. Les travaux parlementaires Pendant les travaux parlementaires de la loi du 11 avril 1994 et de la loi du 12 novembre 1997, le législateur n'a donné que peu d'informations complémentaires sur l'objectif précis de ce motif d'exception. Tout d'abord, l'exposé des motifs dans le projet ayant abouti à la loi du 11 avril 1994 stipule, concernant le paragraphe 3 reprenant le motif d'exception d'abus manifeste, ce qui suit : “Les motifs d'exception visés au § 3 protègent des intérêts moins fondamentaux que ceux visés aux §§ 1er et 2. Par conséquent, la loi ne prévoit pas l'obligation de refuser la publicité dans de pareils cas, mais en donne la possibilité à l'autorité administrative fédérale quand elle est d'avis que dans le cas en question, toujours après avoir effectué la balance des intérêts concernés, la publicité ne doit pas avoir lieu” (Doc. Parl. Chambre, 1992-1993, N° 1112/1, 17). Plus loin, l'exposé des motifs mentionne : "Leur signification concrète se cristallisera graduellement au travers de la pratique et de la jurisprudence"Doc. Parl. Chambre, 1992-1993, N° 1112/1, 17). L'exposé des motifs stipule également : "Les motifs d'exception prévus au § 3 de l'article 6 sont, comme cela a été dit, d'une autre nature que ceux sous les §§ 1er et 2. Ils sont facultatifs et ne valent que pour les autorités administratives fédérales. Leur objectif est d'éviter des malentendus au sujet de la portée d'un document (1°), d'éviter la création d'un circuit "secret" parallèle d'avis informels, communiqués de manière confidentielle, (qui sont souvent utiles), parce que celui qui les donne, ne veut pas que son identité ou son opinion devienne publique (2°), ou d'éviter que la publicité devienne inopérante (3° et 4°).” (Doc. Parl. Chambre, 1992-1993, N° 1112/1, 19, dans la même phrase Doc. Parl.Chambre, 1996-1997, N° 871/1, 7). Concernant le motif d'exception relatif au caractère manifestement abusif fondé sur l'interprétation de l'époque de ce motif d'exception dans la loi du 11 avril 1994, les travaux parlementaires ayant abouti à l'article 32, §2 de la loi du 5 août 2006, précisent ce qui suit : " Par demande abusive, il convient de comprendre les demandes qui ont manifestement pour objectif d’enfreindre la bonne marche de l’administration. Par exemple, une demande qui viserait à obtenir l’ensemble de la législation environnementale internationale, européenne et belge constituerait une demande abusive. De même, les demandes à caractère vexatoire pour les instances environnementales seront aussi jugées comme abusives.” (Doc. Parl. Chambre 2005-2006, N° 512511/001, 43). Ce passage indique 5 clairement ("par exemple") que ces précisions relatives au motif d'exception de l'abus manifeste ne sont que des exemples et ne sont en aucun cas limitatifs. L'abus manifeste n'implique pas nécessairement que l'intéressé veuille (sciemment) entraver le bon fonctionnement de l’administration, mais est également d'application dans le cas où répondre à la demande entraîne une charge trop importante pour l'administration fédérale, l'empêchant d'effectuer ses tâches essentielles. Ce motif d'exception vaut donc également dans une situation où le demandeur n'est pas conscient de la quantité de documents demandée, ni de la charge de travail qu'entraîne sa demande de publicité pour l'administration fédérale, si elle devait répondre à cette demande. Récemment, le Conseil d'État a déduit des travaux parlementaires ce qui suit : « S'il semble ressortir des travaux préparatoires que la demande doit avoir pour objectif, et non seulement pour objet, d'enfreindre la bonne marche de l'administration, l'exemple donné par ces mêmes travaux préparatoires ne laisse par contre pas entendre que le but de nuire soit requis. Le texte de la loi, (…), ne l'exigent d'ailleurs pas. Il en résulte qu'il suffit que, par son ampleur, la demande ait pour effet de porter atteinte à la bonne marche de l'administration. Au demeurant, il serait paradoxal, voire contradictoire, de devoir établir l'intention de nuire dans le chef de l'auteur de la demande alors que celui-ci ne doit pas justifier de son intérêt à ladite demande. » CE, arrêt n° 243.357 du 8 janvier 2019) 2.3. Le caractère restrictif des motifs d'exception relatifs à la publicité de l'administration Les motifs d'exception à la publicité de l'administration constituent les motifs d'exception à un droit garanti constitutionnellement et sont, de ce fait, soumis à une interprétation restrictive (CE 25 mars 1997, n° 17/97, B.2.1 et 2.2 ; CE 15 septembre 2004, n° 150/2004, B.3.2.). 2.4. Le caractère facultatif du motif d'exception Le motif d'exception visé à l'article 6, §3, 3° de la loi du 11 avril 1994 et à l'article 7, 3° de la loi du 12 novembre 1997 a un caractère facultatif. C'est pourquoi, la Commission et le Conseil d'État ont toujours estimé qu'en cas de refus (partiel), une 'obligation de motivation plus stricte' est d'application étant donné que pour les motifs d'exception à l'article 6, §3 de la loi du 11 avril 1994 et à l'article 7 de la loi du 12 novembre 1997, la 6 non-publicité n'est qu'une possibilité et non une obligation. Cela signifie que s'il est satisfait aux conditions permettant d'invoquer ces motifs d'exception, une administration peut toujours décider de la publicité de celui-ci, ce qui n'est pas le cas pour les motifs d'exception obligatoires visés à l'article 6, §§ 1er et 2 de la loi du 11 avril 1994 (Doc. Parl. Chambre 1992- 1993, n° 1112/1, 16; Doc. Parl. Chambre, n° 871/1, 7). 2.5. Le caractère relatif du motif d'exception Lors de l'évaluation visant à déterminer si oui ou non le motif d'exception de l'article 6, §3 de la loi du 11 avril 1994 et de l'article 7 de la loi du 12 novembre 1997 est d'application, l'administration fédérale, provinciale ou communale doit toujours procéder à une mise en balance des intérêts. 2.6. Critères invocables pour statuer sur l'abus manifeste Le motif d'exception d'abus manifeste ne peut être traité à la légère et la décision ne peut être prise à la hâte. Il ressort clairement de la jurisprudence du Conseil d'État que l'aspect de la charge de travail est en lui-même insuffisant pour refuser la publicité (CE, arrêt n° 225.549 du 21 novembre 2013 ; CE, arrêt n° 236.367 du 8 novembre 2016). Il ne suffit pas non plus d'invoquer l'important volume de documents dans lesquels on s'appuie sur la taille et la structure des documents administratifs demandés en se référant à un dossier antérieur et à l'examen de certains documents administratifs considérés comme représentatifs. En outre, le refus du droit fondamental de publicité sur la base d'un critère quantitatif requiert la plus grande prudence (CE, arrêt n°229.270 du 21 novembre 2014, n°26) De même, l'argument selon lequel les documents demandés doivent toujours être examinés sur la base d'éventuels motifs d'exception ne peut conduire sans raison au constat que la demande est manifestement abusive. Bien que l'on puisse considérer que l'enquête représente une tâche énorme, il convient alors de démontrer que cette étape est considérée comme insurmontable. Dans ce cadre, il faut tenir compte de la charge de travail de l'administration concernée, dont on attend qu'elle sache s'organiser pour répondre à la demande de publicité introduite (CE, arrêt n°229.270 du 21 novembre 2014). Une autorité administrative doit également tenir compte du fait que la consultation des documents administratifs demandés est le seul moyen pour le demandeur de se faire une idée complète de la politique de l'autorité administrative et d'évaluer cette politique, ce qui est à son tour décisif pour déterminer les mesures 7 supplémentaires que le demandeur prendra, le cas échéant, contre cette autorité administrative (CE, arrêt n°229.270 du 21 novembre 2014). Dans la même phrase, le Conseil d'État estime que le volume et la complexité des éléments demandés ne rendent pas à eux seuls une demande manifestement abusive, puisqu'une prorogation de délai peut être accordée précisément pour ce motif (CE, arrêt n° 243.357 du 8 janvier 2019). Par ailleurs, le Conseil d'État considère que le simple fait qu'une demande de publicité porte sur un plus grand nombre de documents administratifs et sur des renseignements qui relèvent d'un ou de plusieurs motifs d'exception, de sorte que le traitement de cette demande prend plus de temps que d'habitude, ne constitue pas une raison suffisante pour rejeter la demande en l'estimant abusive (CE, arrêt n° 236.367 du 8 novembre 2016). Dans ce même arrêt, le Conseil d'État souligne que pour pouvoir invoquer l'abus, il faut tenir compte de la taille et de la charge de travail d'une administration et du nombre de membres du personnel disponibles pour la tâche en question. Le Conseil d'État juge ce point essentiel pour évaluer concrètement l'éventuelle nature abusive de la tâche en question. Pour décider d'un abus de droit de la part du demandeur sur la base du motif d'exception relatif au caractère manifestement abusif, le lien entre deux demandeurs peut ne pas suffire pour considérer comme un ensemble la demande du demandeur qui n'a pas déjà introduit une demande de publicité administrative et les demandes antérieures d'une autre personne et sur la base duquel une demande peut être considérée comme manifestement abusive. Chaque demande doit être examinée selon ses propres mérites. On ne peut pas non plus simplement estimer que le demandeur est la marionnette d'une autre personne (CE, arrêt n° 239.362 du 11 octobre 2017. Sous réserve de ladite 'obligation de motivation plus stricte', le caractère manifestement abusif ne peut être invoqué qu'en avançant (et démontrant) un ensemble d'arguments qui ne peuvent être pris indépendamment et qui justifient raisonnablement ce motif d'exception : entre autres, la lourde charge de travail liée à l'examen du caractère invocable du motif d'exception ; le grand nombre de documents ; la présence de nombreux documents en langues étrangères ; la capacité limitée dont l'autorité administrative fédérale saisie de la demande est actuellement dotée ; l'absence d'une structure et d'une construction 8 simples des documents demandés ; le temps nécessaire pour examiner un grand nombre de documents ; la nécessité de différencier les informations pouvant être qualifiées d'informations environnementales des autres ; l'impossibilité de lire et de comprendre certains documents, car ils sont écrits dans une langue et/ou un alphabet étranger ; le fait qu'il s'agit majoritairement de documents papier. Bruxelles, le 1er avril 2019. F. SCHRAM K. LEUS secrétaire présidente