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Date: 05/03/2018
Commission d’accès aux et de réutilisation des documents administratifs Section publicité de l’administration 5 mars 2018 AVIS n° 2018-15 DEMANDE D’AVIS SUR LA NOTION D’« INTÉRÊT » VISÉE À L’ARTICLE 4 DE LA LOI DU 11 AVRIL 1994 RELATIVE À LA PUBLICITÉ DE L’ADMINISTRATION (CADA/2018/12) 2 1. Un aperçu Par courrier du 8 février 2018, le SPF Affaires étrangères, Commerce extérieur et Coopération au Développement sollicite de la Commission d’accès aux et de réutilisation des documents administratifs, section publicité de l’administration, ci-après nommée ‘la Commission’, un avis « sur la notion d’‘intérêt” visée à l’article 4 de la loi du 11 avril 1994 ‘relative à la publicité de l’administration’ ». Cette demande d’avis se situe au sein d’un contexte bien spécifique : « Dans le cadre d’une procédure de promotion à la classe supérieure, tout candidat a le droit de demander à consulter le dossier de la procédure (art. 26bis, §1er, alinéa 3 de l’arrêté royal du 7 août 1939 organisant l’évaluation et la carrière des agents de l’Etat). Cette consultation doit se faire ‘dans le respect du caractère confidentiel des informations qui concerneraient d’autres agents et de la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration’ (art. 26bis, §1er, alinéa 3 de l’arrêté royal du 7 août 1939). L’article 4 de la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration donne à toute personne – dans ce cas-ci, au candidat – le droit de consulter tout document administratif et d’en obtenir une copie. Néanmoins, il doit justifier d’un intérêt pour les documents à caractère personnel. Or, le dossier de promotion contient le procès-verbal de la séance du comité de direction durant laquelle ce dernier a émis un avis motivé sur chaque candidat à la promotion, ce qui a permis de donner préférence à un candidat par rapport aux autres. Le procès-verbal contient donc des données à caractère personnel relatives à de nombreux candidats (il arrive régulièrement que plus de vingt agents se portent candidats à une fonction vacante). 1. Qu’entend-t-on par ‘intérêt’ au sens de l’article 4 de la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration ? 2. Au vu des éléments exposés ci-dessus, l’agent qui en fait la demande doit-il se voir donner accès à l’entièreté du procès- verbal de la procédure à laquelle il est candidat, assurant une plus grande transparence de l’administration, ou uniquement la partie 3 du procès-verbal qui le concerne personnellement, privilégiant le respect du caractère personnel des informations relatives aux autres candidats ? » 2. La recevabilité de la demande d’avis La Commission estime que la demande d’avis est recevable. L’article 8, § 3, de la loi du 11 avril 1994 ‘relative à la publicité de l’administration’ dispose en effet que la Commission peut être consultée par une autorité administrative fédérale. Afin de garantir son indépendance si elle devait être saisie d’une affaire individuelle sur pied de l’article 8, § 2, de la loi du 11 avril 1994, la Commission a considéré qu’elle ne pouvait donner suite qu’aux seules questions générales d’interprétation, et non à des cas spécifiques. La manière dont le SPF Affaires étrangères, Commerce extérieur et Coopération au Développement a posé sa question est suffisamment générale que pour qu’elle soit traitée dans le cadre de l’article 8, § 3, de la loi du 11 avril 1994. 3. Le fondement de la demande d’avis 3.1. Le principe La loi du 11 avril 1994 part du principe, à la lumière de l’article 32 de la Constitution, selon lequel « chacun » dispose d’un droit d’accès aux documents administratifs. Ce droit peut être exercé par le demandeur afin de consulter le document administratif demandé, de recevoir les explications y afférentes et d’en obtenir une copie (article 4, alinéa 1er, de la loi du 11 avril 1994). À cette position de principe, le législateur a prévu une exception importante, à savoir qu’un intérêt est exigé pour les « documents à caractère personnel » (article 4, alinéa 2, de la loi du 11 avril 1994). 3.2. Un document à caractère personnel Aux termes de l’article 1er, alinéa 2, 3°, de la loi du 11 avril 1994, un document à caractère personnel est un « document administratif comportant une appréciation ou un jugement de valeur relatif à une personne physique nommément désignée ou aisément identifiable, ou la 4 description d’un comportement dont la divulgation peut manifestement causer un préjudice à cette personne ». D’un point de vue linguistique, il n’est pas clair si « dont la divulgation peut manifestement causer un préjudice à cette personne » se rapporte au jugement de valeur et à la description d’un comportement, ou seulement à la description d’un comportement. Aussi l’Exposé des motifs du projet de loi n’offre-t-il aucune explication. Étant donné qu’un document à caractère personnel constitue une exception au principe fondamental de la publicité de l’administration qui profite à chacun, il convient de lui réserver une interprétation stricte. L’on peut en déduire que la condition « dont la divulgation peut manifestement causer un préjudice à cette personne » s’applique tant au jugement de valeur qu’à la description du comportement d’une personne physique nommément désignée ou aisément identifiable. Il en découle que lorsqu’un jugement de valeur ou la description d’un comportement ne peut manifestement pas causer de préjudice à cette personne – ce qui est bien sûr le cas s’il s’agit d’une appréciation positive pour cette personne, l’information ne peut pas être considérée comme tombant sous la définition d’un document à caractère personnel. Il ressort par ailleurs de la pratique d’avis de la Commission que, pour se conformer au prescrit de l’article 32 de la Constitution, il convient de réserver une interprétation stricte à la notion de « document à caractère personnel », dans le sens qu’elle peut seulement couvrir l’information qui renferme le jugement ou l’évaluation d’une personne physique nommément désignée ou aisément identifiable ou la description d’un comportement dont la divulgation peut manifestement causer un préjudice à cette personne, et non l’entièreté du document administratif s’il contient également d’autres informations pour lesquelles le demandeur ne doit pas se prévaloir d’un intérêt. 3.3. L’intérêt requis L’article 4, alinéa 2, de la loi du 11 avril 1994 dispose que le demandeur doit justifier d’un intérêt. Le législateur s’est abstenu de définir plus avant la notion d’« intérêt », mais s’est référé à l’intérêt nécessaire pour introduire un recours en annulation devant le Conseil d’État dans les travaux préparatoires (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 1112/13, pp. 13-14 ; Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 871/5, p. 5). Parce que la 5 notion d’« intérêt » n’est pas définie plus avant et à la lumière de l’article 32 de la Constitution, la Commission a toujours choisi de donner un contenu concret au critère de l’intérêt, qui soit fonction du cas qui lui est soumis. La Commission a fait une distinction dans sa pratique d’avis entre deux situations : la première situation est celle dans laquelle le demandeur sollicite l’accès à un document à caractère personnel ; la seconde situation est celle dans laquelle un tiers sollicite l’accès à un document de ce type. En ce qui concerne l’accès aux documents relatifs à des nominations ou à des promotions, la Commission est d’avis qu’un demandeur a toujours l’intérêt requis pour se voir reconnaître l’accès aux documents à caractère personnel qui le concernent. La Commission estime qu’il est présumé avoir l’intérêt requis pour recevoir l’accès aux documents à caractère personnel qui le concernent et que, par conséquent, il ne doit pas démontrer qu’il justifie d’un intérêt. Un demandeur a par ailleurs l’intérêt requis pour accéder aux documents à caractère personnel qui concernent d’autres candidats, pour autant qu’il ait lui-même été candidat à la nomination ou à la promotion concernée. Dans ce cas, il doit bien démontrer qu’il dispose de l’intérêt requis. Selon la Commission et la jurisprudence du Conseil d’État, il suffit que le demandeur démontre qu’il a lui-même posé sa candidature pour la nomination ou la promotion afin de disposer de l’intérêt requis. Un fonctionnaire qui a pris part à une procédure de nomination ou de promotion dispose par conséquent de l’intérêt requis pour recevoir l’accès au procès-verbal dans son entièreté. Son intérêt n’est dès lors pas limité à la partie de l’avis du comité de direction qui le concerne. 3.4. L’anonymisation à la lumière de la définition du “document à caractère personnel” De la jurisprudence du Conseil d’État (C.E., arrêt n° 218.666 du 27 mars 2012), il ressort néanmoins qu’à ce stade de l’évaluation, une solution peut être trouvée dans l’anonymisation. Cette anonymisation est bien plus souple que celle qui est élaborée sur pied de la loi du 8 décembre 1992 ‘relative à la protection de la vie privée à l’égard des traitements de données à caractère personnel’. Il suffit qu’il ne soit plus possible 6 découvrir aisément l’identité de l’intéressé. Selon le Conseil d’État en effet, il n’est plus question, dans ce cas, d’un document à caractère personnel, et la démonstration d’un intérêt n’est plus requise. 3.5. La relativité de l’exigence d’un intérêt pour l’examen de l’invocabilité des exceptions La démonstration d’un intérêt pour l’accès aux documents à caractère personnel n’implique pas automatiquement que le demandeur doit se voir reconnaître ledit accès. Il s’agit effet d’un test préalable, d’une condition de recevabilité. Le contenu des documents à caractère personnel concernés doit toujours ensuite être mis à l’épreuve des motifs d’exception énumérés à l’article 6 de la loi du 11 avril 1994. Le motif d’exception le plus important dont il sera question avec les dossiers de nomination et de promotion est l’exception prévue à l’article 6, § 2, 1°, de la loi du 11 avril 1994 ‘relative à la publicité de l’administration’. Elle se formule comme suit : « L’autorité administrative fédérale ou non fédérale rejette la demande de consultation, d’explication ou de communication sous forme de copie d’un document administratif qui lui est adressée en application de la présente loi si la publication du document administratif porte atteinte : […] à la vie privée, sauf si la personne concernée a préalablement donné son accord par écrit à la consultation ou à la communication sous forme de copie ». L’invocation de ce motif d’exception est dès lors soumise à d’importantes conditions. En premier lieu, l’information doit toucher à la vie privée. Il doit ensuite être démontré in concreto que la divulgation de l’information porterait atteinte à la vie privée. Ce n’est qu’une fois ces conditions remplies que la publicité peut être refusée. Ce motif d’exception ne peut pas être invoqué quand le demandeur sollicite l’accès à l’information contenue dans un document administratif qui le concerne. Ce motif d’exception joue un rôle quand l’information à laquelle l’accès est demandé touche aux tiers. Par le passé, la Commission a estimé que l’information contenant des données factuelles sur le candidat et qui touchait directement à une fonction à pourvoir devait être rendue publique. C’est le cas pour ce qui 7 concerne une copie d’examen complétée par le candidat, qui apprécie ses connaissances et comporte une évaluation. Dans ce cas, la Commission est d’avis que l’information ne porte pas atteinte à la vie privée du candidat. Ce n’est point le cas si l’information touche aux caractéristiques personnelles d’un autre candidat. La Commission souhaite enfin faire remarquer que, même lorsque le motif d’exception est d’application, une autorité administrative fédérale ne peut pas se contenter de rejeter la demande. Elle se doit de contacter les intéressés et de leur demander si elle peut, pour l’instant, procéder à la divulgation. Ceci n’empêche toutefois pas que l’autorité administrative fédérale doit prendre une décision endéans le délai déterminé par la loi et ne peut pas attendre que l’intéressé ait pris position sur la demande. En principe, quand la position n’est pas encore connue, la demande d’information relevant de l’article 6, § 2, 1° doit être refusée, sous réserve de ce que si l’intéressé devait donner son autorisation, la publicité pourrait toujours s’ensuivre. Bruxelles, le 5 mars 2018. F. SCHRAM K. LEUS secrétaire présidente