Cadas > Cada fédérale > Publicité de l'administration > Avis
Date: 08/10/2018
Commission pour l'accès aux et la réutilisation des documents administratifs Section publicité de l'administration 8 octobre 2018 Avis 2018-105 relatif à la possibilité de refuser l'accès à un document administratif en raison du fait que les informations qu'il contient peuvent être source de méprise (CTB/2018/adviesuiteigenbeweging2) 2 1. Aperçu La Commission d'accès aux et de réutilisation des documents administratifs, Section publicité de l'administration, ci-après dénommée la Commission, a été confrontée au cours de la période écoulée à des demandes d'avis dans le cadre desquelles l'autorité avait refusé la publicité parce que celle-ci aurait être source de méprise auprès du public ou dans le cadre desquelles l'autorité a, dans sa réponse à la demande de reconsidération, invoqué ce motif pour refuser la publicité après avis de la Commission. En raison de l'ampleur du problème, la Commission estime qu'il est important de formuler un avis général qui soit indépendant de toutes ces demandes concrètes de publicité d'un document administratif. En vertu de l'article 8, §4, de la loi du 11 avril 1994 'relative à la publicité de l’administration' (ci-après "loi du 11 avril 1994") et de l'article 9, §3, de la loi du 12 novembre 1997 'relative à la publicité de l'administration dans les provinces et les communes' (ci-après "loi du 12 novembre 1997"), la Commission est habilitée à rendre un avis d'initiative en lien avec l'application générale de la législation sur la publicité de l'administration. Dans le cas de la loi du 12 novembre 1997, la Commission ne peut se prononcer que sur des demandes émanant d'administrations locales pour autant que la compétence organique sur ces dernières soit confiée au législateur fédéral. La Commission peut également soumettre au pouvoir législatif des propositions relatives à l'application et à la révision éventuelle des deux lois relatives à la publicité. 2. L'avis L'avis est scindé en deux parties : il est en premier lieu précisé que la question de la compréhensibilité de la teneur de la demande est en principe totalement distincte de la question de l'accès à un document administratif. Dans un deuxième volet, la compréhensibilité d'un avis peut jouer un rôle dans le cadre de l'application d'un motif d'exception dont l'invocation est soumise à des conditions très strictes. 3 2.1. Le droit d'accès à un document administratif n'est absolument pas lié à la question de savoir si la teneur de celle-ci peut être comprise par le demandeur Le droit d'accès à un document administratif n'est aucunement lié à la nécessité de démontrer un intérêt, à la mention du motif pour lequel le demandeur souhaite obtenir un document administratif et au fait qu'il comprenne ou puisse comprendre correctement le document administratif. En principe, il n'appartient qu'au demandeur de juger s'il comprend correctement le contenu du document administratif. Le pouvoir constituant et le législateur sont partis du principe qu'un demandeur a le droit de prendre connaissance du contenu d'un document administratif tel qu'une autorité administrative en dispose, que celui-ci soit rédigé dans un langage administratif ou qu'il soit de nature très technique (Doc. parl. Chambre 1992-1993, N° 1112/1, 14; Doc. parl. Chambre 1996-1997, n° 871/1,6). Le législateur voulait ainsi éviter que le citoyen ne puisse prendre entièrement connaissance du contenu d'un document administratif ou n'obtienne qu'une lecture partielle du document administratif demandé. Il n'appartient pas à une autorité administrative de modifier ou de 'reformuler' un document administratif demandé, que cela en améliore ou non la compréhensibilité. Il appartient au demandeur de juger s'il comprend suffisamment le document administratif obtenu. S'il estime que tel n'est pas le cas, il peut alors faire usage d'une modalité complémentaire du droit d'accès, à savoir la possibilité de demander des explications concernant un document administratif (article 4, alinéa 1er, de la loi du 11 avril 1994 et article 5, alinéa 1er, de la loi du 12 novembre 1997). Cette dernière modalité de l'exercice du droit d'accès est considérée par le Conseil d'Etat comme faisant naturellement partie du service public (Doc. parl., 1992-1993, N° 1112/1, 29). Cela doit permettre au citoyen, quand il le souhaite, de comprendre correctement le contenu d'un document administratif. Le risque que l'interprétation soit mauvaise ou erronée reste toujours possible. Le processus de communication est un processus complexe dans lequel les capacités de communication et linguistiques du demandeur ainsi que le contexte dans lequel celui-ci se trouve jouent un rôle essentiel. Il est donc toujours possible que l'interprétation d'un document administratif soit mauvaise ou erronée et rien ne peut empêcher cela. Le fait qu'un document administratif puisse être source de méprise ou de confusion n'est en principe pas un motif de refus de la publicité. 4 Si une autorité administrative craint quand même que cela puisse être une source potentielle de méprise, dans plusieurs avis formulés tout au long de sa pratique d'avis, la Commission a recommandé qu'une autorité administrative ait toujours la possibilité de faire accompagner le document administratif demandé d'une lettre ou d'une note explicative. Elle peut ainsi y expliquer qu'un document administratif ne contient pas automatiquement le résultat final d'un processus décisionnel. Le document administratif concerné peut en effet être un document préparatoire, dans lequel on dégage une certaine vision qui ne sera plus suivie par la suite, par exemple suite à des remarques formulées par des organismes d'avis concernant une proposition ou un projet bien défini. Il peut également s'agir d'un document officiel formulant une certaine proposition qui, en définitive, ne sera pas suivie au niveau politique parce que l’on n’a pas trouvé de soutien politique suffisant à cette fin. Toutefois, si une administration est dans l'impossibilité de joindre au(x) document(s) demandé(s) un document d'accompagnement explicatif à l'attention du demandeur, cela ne constitue bien entendu pas un motif de refus de la publicité. Le fait que la compréhensibilité d'un document administratif ne soit pas un critère pour que l'on autorise ou non l'accès à celui-ci ressort également du principe de publicité partielle. Ce principe implique que lorsque le fait que certaines informations tombent sous l'application d'un motif d'exception dont l'invocation peut être suffisamment motivée de manière concrète, seules ces informations peuvent être soustraites à la publicité et que toutes les autres informations présentes dans le document administratif doivent être rendues publiques. Le fait que, suite à la publicité partielle, le document administratif ne puisse plus être compris dans son intégralité ou puisse être source de méprise ne constitue pas non plus un motif de refus de la publicité (Doc. parl. Chambre 1992-1993, N° 1112/1, 19; Doc. parl. Chambre, 1996-1997, n° 871/1, 8). 5 2.2. L'exception au principe : un document administratif inachevé ou incomplet pouvant, pour cette raison, être source de méprise 2.2.1 Introduction L'article 6, § 3, 1°, de la loi du 11 avril 1994 s'énonce comme suit : “L'autorité administrative fédérale peut rejeter une demande de consultation, d'explication ou de communication sous forme de copie d'un document administratif dans la mesure où la demande : (...) 1° concerne un document administratif dont la divulgation peut être source de méprise, le document étant inachevé ou incomplet;” Article 7 de la loi du 12 novembre 1997 : “Sans préjudice des autres exceptions établies par la loi, le décret ou l'ordonnance pour des motifs relevant de l'exercice des compétences de l'autorité fédérale, de la Communauté ou de la Région, l'autorité administrative provinciale ou communale peut rejeter une demande de consultation, d'explication ou de communication sous forme de copie d'un document administratif dans la mesure où la demande : 1° concerne un document administratif dont la divulgation peut être source de méprise, le document étant inachevé ou incomplet;” Les deux motifs d'exception sont identiques mais ont un champ d'application différent : le premier s'applique à l'égard des autorités administratives fédérales, le second à l'égard des autorités administratives provinciales et communales. En ce qui concerne ce motif d'exception, deux aspects sont importants, à savoir les conditions dans lesquelles ce motif d'exception peut être invoqué et le caractère du motif d'exception. Il ressort de l'Exposé des motifs que l'objectif de ce motif d'exception est "d'éviter des malentendus au sujet de la portée d'un document" (Doc. parl. Chambre 1992/1993. N° 1112/1, 19; Doc. parl. Chambre, n°871/1,7). 2.2.2. Les conditions pour pouvoir invoquer ce motif d'exception 6 En vertu du texte des dispositions précitées, pour pouvoir invoquer ce motif d'exception, il y a lieu de remplir deux conditions, ce qui implique également qu'il faut démontrer dans la motivation que ces conditions soient bien remplies. En premier lieu, il doit s'agir d'un document inachevé ou incomplet. En second lieu, c'est de ce caractère "inachevé ou incomplet" que doit provenir la méprise. a. Le caractère inachevé ou incomplet d'un document administratif L'Exposé des motifs des deux lois ne reprend aucune information concernant ce qu'il y a lieu d'entendre par d'une part, un document inachevé et d'autre part, un document incomplet. Selon la Commission, par "document incomplet", il y a notamment lieu de comprendre la situation dans laquelle des annexes qui font partie intégrante d'un document administratif sont provisoirement manquantes. Etant donné que tous les motifs d'exception doivent être considérés comme un motif d'exception à un droit constitutionnel fondamental, il y a lieu de donner une interprétation restrictive aux motifs d'exception. Cela est également le cas pour le motif d'exception visé à l'article 6, §3, 1°, de la loi du 11 avril 19941 et à l'article 7, 1°, de la loi du 12 novembre 1997. Cela signifie que l'on ne peut pas décider trop rapidement sur la disponibilité d'un document inachevé ou incomplet. En tout cas, on ne peut pas conclure que si un certain dossier n'est pas encore achevé ou est incomplet, il est satisfait à la première condition permettant d'invoquer ce motif d'exception. La notion de “dossier” n'est en effet pas utilisée dans les deux lois en matière de publicité. Il y a d'ailleurs lieu de considérer qu'un dossier se compose d'un ou de plusieurs documents administratifs. Il y a dès lors lieu d'évaluer, par document administratif, s'il est incomplet ou inachevé. Un document inachevé ou incomplet ne peut pas non plus être assimilé à un document préparatoire. Par conséquent, le fait qu'un document soit un document préparatoire ne constitue pas un motif de refus d'une demande dès que ce document sera achevé. 7 Le fait qu'une autorité administrative qualifie un document administratif de "document interne", de document confidentiel ou "d'informations sensibles et spécifiques à l'organisation" ne signifie pas non plus qu'il s'agit d'un document inachevé ou incomplet. Le moment auquel un document peut être considéré comme achevé requiert une évaluation de fait et diffère de document en document. Dans ce cadre, on peut faire une distinction entre des documents qui s'inscrivent dans le cadre d'un processus décisionnel et d'autres documents. Si un document administratif porte sur un processus décisionnel, ce document obtient alors le statut de document "achevé" ou "complet" lorsque la personne ou l'instance qui dans le cadre de la procédure est compétente pour établir ce document, a estimé que cela est le cas. Cela aura souvent pour conséquence qu'à ce moment-là le responsable en question signe ou diffuse, en interne ou en externe, le document. Cela ne signifie toutefois pas du tout qu'une décision finale doit être prise selon la procédure. Le report de la signature ne peut pas non plus conduire au fait de qualifier un document d'inachevé ou incomplet. Le fait qu'un document administratif soit achevé ou complet doit être interprété comme la signification qu’un document ait suivi tout un parcours au sein d'une administration qui mène au point de vue de cette administration. Le fait que le contenu d'un document soit encore susceptible d'être modifié ou revu en raison de nouveaux facteurs et éléments, n'empêche pas que le document soit achevé ou puisse être considéré comme complet. Un avis d'un service juridique ne pourra être considéré comme achevé que si celui-ci peut en effet être considéré comme un document du service juridique et non comme une note juridique d'un collaborateur de ce service qui est encore sujet à discussion au sein de ce service. Un avant-projet de loi ou un projet d'arrêté royal est un document achevé et complet lorsqu'il a été approuvé par le Conseil des Ministres et transmis pour avis à d'autres institutions, telles que le Conseil d'Etat ou l'autorité de protection des données. Qu'un tel avant-projet de loi ou projet d'arrêté royal ne conduise finalement pas à un projet de loi ou une loi ou ne mène pas à un arrêté royal ou donne lieu à une loi ou un arrêté royal dont le contenu diverge fondamentalement de l'avant-projet de loi ou du projet d'arrêté royal ne porte pas préjudice. Dans ce cas, un nouveau texte est en effet rédigé. 8 Pour les documents qui n'entrent pas dans le cadre d'une procédure décisionnelle, s'applique la règle selon laquelle le ou les rédacteurs sont les personnes qui évaluent personnellement si leur document doit être considéré comme achevé ou complet. Il ne s'agit toutefois pas d’une décision purement subjective qui permettrait qu'un certain document puisse sciemment toujours être considéré comme un document inachevé ou incomplet. En effet il y un élément d'évaluation objectif, à savoir le fait que plus aucune modification ne doit être apportée au document, ce qui n'exclut pas que des modifications restent possibles ultérieurement en raison de nouvelles circonstances, de nouveaux faits ou d'avis recueillis. Les documents qui traduisent le point de vue de l'administration et sont portés par l'administration sont des documents achevés bien qu'un tel document ne soit encore qu'une proposition stratégique initiale faite au(x) responsable(s) stratégique(s) devant encore donner son ou leur accord à ce sujet. Un document est inachevé ou incomplet lorsqu'au sein d'une organisation, on travaille encore sur le document en question et que l'on estime que ce document ne peut pas encore quitter l'organisation parce que celui-ci ne peut pas encore être considéré comme le point de vue du service ou de l'organisation concerné(e). Cela est également le cas lorsqu'un document est rédigé par différents services et que les différents services estiment que le document ne représente pas encore le point de vue commun. Un indicateur clair d'un document achevé peut être trouvé dans le fait qu'un document quitte une certaine administration et est transmis à une autre administration ou institution, si le document en question n'est pas le produit commun de plusieurs administrations ou institutions. Les bases de données requièrent une attention particulière. La base de données en tant que telle doit être considérée comme un document administratif. Cela s'applique également aux informations provenant d'une banque de données et pouvant être combinées entre elles et mises à disposition comme un output distinct. Un caractère propre à de nombreuses bases de données est le fait qu'elles soient mises à jour en permanence. Etant donné que de très nombreuses informations se retrouvent dans des bases de données, le fait de considérer une base de données comme un document administratif inachevé aurait pour conséquence que de très nombreuses informations ne seraient jamais 9 accessibles. La Commission estime toutefois qu'à un certain moment dans le temps, une base de données doit bien être considérée comme un document administratif achevé, à savoir au moment de la demande. A ce moment, les informations contenues dans la base de données sont en effet considérées comme reflétant la situation à ce moment. Cela n'enlève rien au fait que les informations contenues dans la base de données peuvent être adaptées ou que la réalité sur laquelle elles portent change. Si quelqu'un demande l'accès à certaines informations contenues dans une base de données, alors le caractère achevé de ces informations dépend de la personne dont ces informations émanent. Si les informations contenues dans une base de données proviennent d'un ou de plusieurs tiers et n'ont pas encore été confrontées à certaines exigences de qualité, alors cela n'enlève rien au fait que ces informations doivent être considérées comme des données achevées. On peut en effet partir du principe que le fournisseur de ces informations les considère comme étant achevées. Il peut en être autrement s'il s'agit d'informations provisoires qu'une administration a enregistrées dans une base de données. Si une personne demande l'accès à toute la base de données, cette base de données ne peut pas présenter le caractère d'une base de données en phase de construction ce qui peut notamment impliquer qu'elle contient encore de très nombreuses informations partielles. Dans ce cas spécifique, cette base de données doit être considérée comme un document inachevé ou incomplet. b. Être source de méprise Le fait qu'un document soit inachevé ou incomplet est en soi insuffisant pour le soustraire à la publicité. Il y a en effet lieu de démontrer que ce caractère inachevé ou incomplet puisse être source de méprise. Le fait qu'un document administratif puisse être source de méprise n'est pas non plus un fondement suffisant pour le soustraire à la publicité sur la base du motif d'exception visé à l'article 6, §3, 1°, de la loi du 11 avril 1994 ou à l'article 7, 1°, de la loi du 12 novembre 1997. c. Le caractère cumulatif des conditions 10 Dès que l'une des conditions n'est pas remplie, le motif d'exception visé à l'article 6, §3, 1°, de la loi du 11 avril 1994 ou de l'article 7, 1°, de la loi du 12 novembre 1997 ne peut plus être invoqué. Le fait qu'un document administratif puisse être source de méprise ne peut jamais être considéré comme un fondement pour refuser la publicité de ce document administratif. Le fait que le document administratif soit inachevé n'est en soi pas un fondement suffisant pour refuser la publicité si l'on ne peut pas démontrer que ce caractère inachevé ou incomplet puisse être source de méprise. 2.2.3 Le caractère facultatif du motif d'exception Le motif d'exception visé à l'article 6, §3, 1° de la loi du 11 avril 1994 et à l'article 7, 1° de la loi du 12 novembre 1997 a un caractère facultatif. Raison pour laquelle la Commission et le Conseil d'Etat ont toujours estimé qu'une obligation de motivation renforcée s'applique étant donné que pour les motifs d'exception visés à l'article 6, §3, de la loi du 11 avril 1994 et à l'article 7 de la loi du 12 novembre 1997, la non-publicité n'est qu'une possibilité et non une obligation. Cela signifie que, s'il est satisfait aux conditions permettant d'invoquer ces motifs d'exception, une administration peut toujours décider de la publicité de celui-ci, ce qui n'est pas le cas pour les motifs d'exception obligatoires visés à l'article 6, §§ 1er et 2, de la loi du 11 avril 1994 (Doc. parl. Chambre 1992-1993, n° 1112/1, 16; Parl. St.Doc. parl. Chambre, n° 871/1, 7). Bruxelles, le 8 octobre 2018 F. SCHRAM K. LEUS Secrétaire Présidente