COMMISSION D'ACCES AUX DOCUMENTS ADMINISTRATIFS DE LA REGION DE BRUXELLES- CAPITALE {affaire 57.11Ï AVIS I. Les faits 1. Le 5 août 2011, Monsieur René VAN LIEFFERINGE a adressé à la CADA bruxelloise une demande d'avis et un recours au sens de l'ordonnance du 30 mars 1995 relative à la publicité de l'administration, suite à l'absence de réponse à ses diverses demandes visant à consulter l'offre sélectionnée par les services de la Région de Bruxelles-Capitale pour le dossier relatif au réaménagement de l'avenue du Port et le tronçon de la rue Claessens entre l'avenue du Port et l'avenue de la Reine. 2. Le 1er septembre 2011, la CADA bruxelloise remet l'avis suivant :\\ 1. L'Administration est tenue de laisser consulter la décision d'attribution du marché relatif au réaménagement de l'avenue du Port. 2. L'Administration est tenue de laisser consulter l'offre retenue, en ce compris le « métré valorisé par le soumissionnaire », étant entendu que :\\ a. Les pièces dont la confidentialité totale est dûment justifiée au regard de l'article 10, § 1er, 7°, de l'ordonnance peuvent être soustraites à cette consultation; b. Les pièces dont la confidentialité partielle est dûment justifiée au regard de l'article 10, § 1er, 7°, de l'ordonnance ne peuvent être soustraites que partiellement à la consultation ; 3. L'administration est tenue de laisser consulter le rapport d'adjudication, le rapport d'incidences et le « rapport ARBORIS », le cas échéant sous les mêmes exceptions. 4. L'administration est tenue de délivrer les copies sollicitées des mêmes documents, toujours sous les mêmes exceptions, sous forme électronique si celle-ci est disponible, sinon sous forme de copie sur papier. L'article 15 de l'ordonnance du 30 mars 1995 prévoit à ce propos que « la réception d'une copie d'un document administratif peut être soumise au payement d'une rétribution qui ne peut excéder le prix coûtant ». 3. Par courrier électronique du 30 septembre 2011, Monsieur VAN LIEFFERINGE accuse réception de l'avis précité de la CADA, et précise à la secrétaire de celle-ci:\\ « Entre-temps, j'ai reçu via plusieurs e-mails signés par Monsieur Alain LEFEBVRE, inspecteur général, directeur auprès de la Direction projets et travaux d'aménagement des voiries de Bruxelles-Mobilité, une série de documents et des explications complémentaires répondant globalement à mes demandes à l'exception notable de ma demande du « métré valorisé » (point 4.2. de l'avis de la CADA). J'estime ce refus de communication infondé et vous prie de trouver en annexe une note contestant la position de Monsieur A. LEFEBVRE. Je vous serais obligé de connaître, comme proposé par Monsieur A. LEFEBVRE lui-même, la position de la CADA sur cette question. Par ailleurs, j'ai noté que la CADA avait seulement émis un avis, dois-je m'attendre à recevoir par un nouveau courrier une réponse quant à mon recours, ou dois-je, au contraire, considérer l'avis daté du 01.09.2011 comme constituant également la décision relative à mon recours sur base de l'Ordonnance du 18.03.2004 ? Enfin, si la procédure exigeait que je communique mes demandes par une voie différente de l'e-mail ou à d'autres instances, voudriez-vous avoir l'amabilité de m'en informer ? » 4. A cet e-mail du 30 septembre 2011 est jointe une note du 29 septembre 2011 qui conteste le refus de communication du métré valorisé, et qui reprend des extraits d'un échange de courriers électroniques entre Monsieur VAN LIEFFERINGE et l'administration :\\ « * L'administration, par l'intermédiaire de Monsieur A. LEFEBVRE m'a communiqué les documents demandés à l'exception dudit métré sur la base de la justification suivante :\\ - mail du 02.09.2011 (extrait) :\\ En ce qui concerne le métré joint à cette offre, j'ai contacté l'adjudicataire afin qu'il m'informe du caractère confidentiel de tout ou partie des prix unitaires de son offre. Conformément à l'avis de la commission susmentionnée, j'examinerai la position de l'adjudicataire et vous ferai parvenir un document expurgé des informations confidentielles au sens de l'article 10, § 1er, 7°, de l'ordonnance du 30 mars 1995. - mail du 05.09.2011 (extrait) :\\ En ce qui concerne le métré joint à cette offre, l'adjudicataire s'oppose actuellement à la divulgation de ses prix unitaires. Conformément à l'avis de la commission susmentionnée, nous examinons la validité de la justification de la position de l'adjudicataire et vous ferons parvenir un document expurgé des informations confidentielles au sens de l'article 10, § 1er, 7°, de l'ordonnance du 30 mars 1995. - mail du 07.09.2011 (extrait) :\\ Je vous informe que nous nous rangeons à la position exprimée par l'adjudicataire quant au caractère confidentiel de ses prix. Celui-ci s'oppose à la communication de ses prix unitaires car la mise à disposition de ceux-ci permettrait à des tiers d'avoir connaissance de la structure de ses prix. Cela constituerait une infraction à la disposition prévue à l'article 11 de la loi du 15 juin 2006 relative aux marchés publics. Il vous est évidemment loisible de contester cette position devant la commission (CADA) que vous avez déjà consultée précédemment (...) » 5. Le 30 septembre 2011, la secrétaire de la CADA répond au requérant que « les documents visés dans la demande d'avis concernent un projet urbanistique ; qu 'ils ne portent pas sur l'environnement au sens de l'ordonnance du 18 mars 2004 sur l'accès à l'information relative à l'environnement dans la Région de Bruxelles-Capitale. Aussi, la CADA n'y a-t-elle pas vu de recours formé en application de l'article 15 de cette ordonnance, recours qui aurait été irrecevable ». 6. Le 3 octobre 2011, Monsieur VAN LIEFFERINGE saisit la CADA d'une deuxième demande d'avis. 11 estime qu'il doit être autorisé à consulter et à recevoir une copie électronique du métré valorisé intégral pour les motifs suivants développés dans sa demande en reconsidération du même jour adressée à l'administration1 :\\ « - Sur le plan des principes La décision (et sa motivation) relèvent exclusivement de l'administration. S'il peut être compréhensible que vous sollicitiez un avis de l'adjudicataire (ce qui n'est pas prévu par l'Ordonnance du 23.06.1995 [lire 30 mars 1995]), «se ranger à la position de l'adjudicataire » ne constitue aucunement une décision motivée en droit et en fait de l'administration. Au surplus, l'adjudicataire est juge et partie en cette matière de sorte que sa position est de facto partiale. En droit La référence de l'article 11 delà loi du 15.06.2006 sur les marchés publics (« Le pouvoir adjudicateur ... a connaissance de renseignements confidentiels ... ne diffuse en aucun ces renseignements. Ces renseignements concernent notamment les secrets techniques ou commerciaux et les aspects confidentiels des offres ») est insuffisante puisqu 'il n 'est pas indiqué en quoi les « prix unitaires » d'une offre constitueraient un « renseignement confidentiel » et ainsi entrer dans les exceptions prévues à l'article 10, § 1er, 7° de l'Ordonnance du 23.06.1995 [lire 30 mars 1995]. Au surplus, le marché a été attribué et cette offre ne peut plus faire l'objet de la contestation d'un concurrent évincé devant le Conseil d'Etat (forclusion). Cette considération est donc inapplicable dans les circonstances présentes. Par ailleurs, j'ai demandé tant à recevoir copie qu 'à consulter le « métré valorisé » et vous vous êtes abstenus de répondre à cette demande de consultation alors que, en son avis du 01/09/2011, la CADA précisait clairement : (texte cité au point 2). De la sorte, votre administration se refuse (au moins tacitement) à respecter l'avis émis par la CADA. Sur le plan matériel En supposant même, quod non, que la motivation de l'administration soit fondée, l'examen du document type (« BMB-DPT-DPW-2010-0183-BE-SB-MetreV3.xls ») à compléter par l'adjudicataire montre que :\\ - les « prix unitaires » sont répartis en 680postes différents ; - ces « prix unitaires » portent en majorité sur des éléments généraux (« maçonnerie de ... », « fourniture et pose de ... ») difficilement différenciables si on voulait, soi-disant, en retirer une « structure de prix » ; - ces « prix unitaires » sont regroupés en largement plus de 100 sections et sous sections. Eu égard au grand nombre de postes mis en uvre, autoriser la consultation du document complet (qu 'il n 'est pas humainement possible de mémoriser à simple lecture) ne pose aucun problème de soi-disant confidentialité. En conclusion, il est parfaitement légitime, sans enfreindre la possible exception prévue à l'article 10, § 1", 7°, de m'autoriser à consulter et de recevoir copie électronique de la totalité du métré valorisé. Si, par extraordinaire, vous estimiez qu'il existe quelque autre raison de confidentialité (que vous voudrez motiver tant en fait qu'en droit), ma proposition de recevoir copie du métré avec des prix globaux regroupés par sous-sections constitue une alternative raisonnable ». 7. Le requérant précise par ailleurs que « tenant compte de la situation juridique du présent permis d'urbanisme (recours devant les tribunaux, ...), je ne crois pas utile de demander à la CADA de revoir formellement sa position quant à mon recours du 08/08/2011. Toutefois, aux fins d'introduire de futures demandes auprès de 1 Dans sa demande d'avis adressée à la CADA, le requérant renvoie expressément à la demande en reconsidération qu'il adresse le même jour au ministère de la Région de Bruxelles-Capitale pour ce qui concerne « l'argumentaire soutenant cette demande d'avis ». 3 Vadministration en connaissance de cause, vous m'obligeriez en me précisant sur quelles bases légales mes demandes de renseignements n 'auraient pu se faire en vertu de l'ordonnance du 18 mars 2004 »2 II. Remarque préalable 8. La CADA prend acte de ce que la demande dont elle est présentement saisie ne constitue pas une demande de révision de sa position relative au recours du requérant du 8 août 2011, et que ce dernier reconnaît lui-même que ce recours visait la situation juridique d'un permis d'urbanisme3. En tout état de cause, la secrétaire de la CADA du 30 septembre 2011 dont question ci-avant a indiqué au requérant que dès le moment où son recours portait sur un projet urbanistique et non pas sur l'environnement au sens de l'ordonnance du 18 mars 2004 sur l'accès à l'information relative à l'environnement dans la Région de Bruxelles-Capitale, ce dernier était irrecevable. En effet, l'ordonnance du 18 mars 2004 précitée limite expressément la définition de l'environnement aux matières reprises à l'article 6, § 1er, II, III, et V de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, à savoir :\\ l'environnement et la politique de l'eau ; la rénovation rurale et la conservation de la nature ; la politique agricole et la pêche maritime ; La matière de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire dont il était question dans le recours du requérant ne relève pas de la compétence de la CADA lorsqu'elle statue sur des recours fondés sur l'ordonnance du 18 mars 2004 précitée, même à l'égard d'un document relatif à l'évaluation des incidences environnementales qui est une pièce de la demande de permis d'urbanisme et se rattache en conséquence à la matière de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire. III. Portée de la demande d'avis 9. La demande d'avis est manifestement irrecevable en ce qu'elle invoque une violation des principes de motivation applicables à l'administration. La CADA est en effet uniquement compétente pour remettre un avis lorsque le demandeur rencontre des difficultés pour obtenir la consultation d'un document administratif en vertu de l'ordonnance du 30 mars 1995, et non pas pour apprécier la légalité d'une décision de refus de communication au regard des principes de motivation et de motivation formelle notamment contenus dans la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs. Le présent avis portera donc uniquement sur les points suivants au regard de l'argumentaire du requérant :\\ - le requérant doit-il être autorisé à consulter et recevoir une copie électronique de la totalité du métré valorisé ? - si cette consultation ne peut être acceptée pour des raisons de confidentialité, le requérant peut-il recevoir une copie du métré avec des prix globaux regroupés par sous-sections ? 2 Courrier électronique du 3 octobre 2011. 3 Ibid. 4 IV. Analyse 10. Par arrêt C-450/06 du 14 février 2008, la Cour de justice de l'Union européenne a déclaré que l'instance chargée d'examiner le recours - dans cette espèce le Conseil d'Etat -, devait garantir la confidentialité et le droit au respect des secrets d'affaires au regard des informations contenues dans les dossiers qui lui sont communiqués par les parties à la cause, notamment par le pouvoir adjudicateur, tout en pouvant elle-même connaître de telles informations et les prendre en considération. La Cour constitutionnelle a également estimé qu'il appartenait au Conseil d'Etat d'apprécier la confidentialité de certaines pièces contenues dans le dossier administratif en faisant, dans chaque cas, la balance entre les exigences du procès équitable et celles liées au secret des affaires4. La loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fourniture et de services, dans le texte qu'en a établi la loi du 23 décembre 2009, impose aux autorités adjudicatrices (art 65/10) et aux «instances de recours» (art 65/26) de garantir la confidentialité et le droit au respect des secrets d'affaires au regard des informations contenues dans les dossiers, transposant en cela l'article 6 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services. Cette disposition s'inscrit dans la ligne de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (droit à une bonne administration), dont le point 2, b, ne garantit «le droit d'accès de toute personne au dossier qui la concerne» que «dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité et du secret professionnel et des affaires». 11. En l'espèce, au regard de l'ordonnance du 30 mars 1995, c'est à l'administration qu'il incombe d'apprécier le caractère confidentiel des pièces dont la communication est revendiquée par le requérant et de mettre en balance l'exigence de la publicité de l'administration et celle du respect du secret des affaires. La CADA n'est pas en possession du métré valorisé litigieux et n'est donc pas à même de vérifier l'appréciation faite par l'administration. Il ressort toutefois des pièces dont fait état le requérant5 que l'adjudicataire qui a remis ce métré valorisé s'oppose à la divulgation de ses prix unitaires « car la mise à disposition de ceux-ci permettrait à des tiers d'avoir connaissance de la structure de ses prix »6. La structure du prix d'un produit ressortit au secret des affaires7, lequel englobe les prix remis par une entreprise dans le cadre d'un marché public8 dès lors que leur divulgation peut gravement léser ses intérêts9. Par ailleurs, lorsque des mesures concrètes sont prises pour assurer le caractère confidentiel de certaines données, il s'agit a fortiori d'un secret d'affaires10. Dans ce contexte, à moins que l'adjudicataire lui-même accepte la divulgation de ses prix unitaires, l'administration a le pouvoir d'apprécier si les documents dont la communication est demandée revêtent un caractère confidentiel. Le fait que le marché litigieux ne soit plus susceptible d'un recours devant le Conseil d'Etat est sans incidence à ce propos puisque l'objectif de la confidentialité est d'éviter toute divulgation des secrets d'affaires à des concurrents potentiels, actuels ou futurs. 4 C. const, 19 septembre 2007, n" 118/2009, B.9.4. 5 Cf. note du requérant du 29 septembre 2011. 6 Ibid. 7 E. GONTHIER et M. VASTMANS, « Le secret d'affaires : un char à l'assaut de la transparence administrative, de la motivation formelle des actes administratifs et du principe du contradictoire ? », A.P.T., 2010/3, p. 319, spéc. p.323, n" 12. 8 A.-L. DURVIAUX, « Le droit d'accès aux documents administratifs et les marchés publics », in D. RENDERS (dir), L'accès aux documents administratifs, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 721, spéc. p. 731 et les réf. citées. 9 Ibid. 10 E. GONTHIER et M. VASTMANS, op. cit., p. 324. 5 12. Quant à la proposition subsidiaire du requérant visant à obtenir une copie électronique du métré valorisé avec des prix globaux regroupés par sous-sections, cette alternative pourrait également permettre à des concurrents, par recoupements, d'avoir connaissance de façon indirecte des prix globaux pratiqués par l'adjudicataire et, partant, d'ouvrir la voie vers une connaissance de ses secrets d'affaires. La seule solution envisageable est de laisser au requérant la possibilité de consulter la version électronique du métré valorisé pour autant que tous les prix qui y sont mentionnés soient totalement occultés. V. Avis La Commission est d'avis que :\\ 1. l'administration est tenue d'autoriser le requérant à consulter la totalité du métré valorisé sous sa forme électronique, à la condition que tous les prix y figurant soient totalement occultés ; 2. l'administration est tenue de délivrer une copie sous forme électronique ou papier du même document si cette copie est disponible dans le respect de cette condition. L'article 15 de l'ordonnance du 30 mars 1995 prévoit à ce propos que « la réception d'une copie d'un document administratif peut être soumise au payement d'une rétribution qui ne peut excéder le prix coûtant ». La Commission a formulé cet avis en sa séance du 26 octobre 2011, sur rapport de M. Gosselin. Etaient présents MM. M. Leroy, président, F. Gosselin, R. Van Ransbeeck, Mme E. Willemart et Mme L. Therry, secrétaire. La secrétaire, Le président, L. Therry 6